L’argument de l’impact économique ne convainc plus. Si le CIO met maintenant en avant ce qu’il reste, soit « l’héritage » des Jeux, il se méprend.
Wladimir Andreff
Économiste et président du conseil scientifique de l’Observatoire national du sport
Qui, dans le monde sportif, profite des Jeux ? À qui rapporte le crime ? Avant tout, le Comité international olympique (CIO), organisateur des Jeux, y gagne deux choses : un objet à la valeur de 10 milliards d’euros qu’il paye seulement un milliard, d’autres le payant pour lui, et des droits de télévision allant de 2 à 4 milliards d’euros entre chaque édition. Tous les deux ans, ces droits de retransmission représentent ses revenus. C’est le grand gagnant des Jeux avec un « monopole pur mondial » : c’est la seule entreprise au monde qui ait un si fort monopole. Dans un deuxième temps, ce sont les athlètes qui profitent des Jeux. Pour ces derniers, ce serait une véritable catastrophe si les Jeux venaient à être supprimés. Tous les athlètes médaillés gagnent des dizaines de milliers d’euros. Rien qu’une simple participation aux jeux Olympiques représente un « argument massue » pour renégocier leurs contrats avec leurs sponsors.
L’Observatoire national du sport, dont je suis le président, a piloté une étude en 2016, intégrée dans le dossier de candidature de Paris 2024, pour évaluer l’impact économique de l’événement – comprendre ici la valeur ajoutée, pour Paris et l’Île-de-France, par le fait d’accueillir les JO. Trois scénarios, du plus optimiste au moins, donnaient des résultats entre 5 et 10,7 milliards d’euros. L’impact économique des Jeux est toujours, dans le meilleur des cas, aux alentours de 10 milliards. Ce résultat se calculant sur dix-sept ans, cela représente moins d’un milliard par an et moins de 0,01 % du PIB français. C’est insignifiant d’un point de vue macroéconomique ! Évidemment, les restaurateurs, les hôtels vont gagner beaucoup d’argent, mais ce sont des profits privés, qui n’enrichissent pas à la société. L’argument de l’impact économique ne convainc plus. Le CIO en est conscient et préfère dorénavant se concentrer sur ce qu’il reste après les Jeux, « l’héritage », en espérant que ce ne soit que du positif. Des conséquences négatives à l’organisation de l’événement existent pourtant : d’une part, avec une dette payée après coup par les impôts des locaux de l’épreuve ; d’autre part, avec les « éléphants blancs », ces investissements obligatoires dans des structures qui ne servent plus. Pour Paris 2024, si le Grand Palais est rénové pour accueillir des spectacles qui rapporteront des revenus, ce sera du positif, certes, mais aussi du négatif car la maintenance du bâtiment devra être assurée. L’héritage, c’est du temps long, et c’est là où le CIO se méprend. Certains économistes, dont je fais partie, privilégient l’analyse coût-avantage.
Tous les coûts et tous les revenus de l’organisation des Jeux sont appréciés monétairement avec leurs externalités négative et positive. La différence entre ces coûts et ces revenus, le « bénéfice social net », permet de déterminer le bénéfice, négatif ou positif, pour la société. Si le bénéfice social est négatif, les économistes prônent de ne pas faire d’investissements : une approche que goûtent peu les femmes et les hommes politiques.
Changeons de perspective. Assumons qu’un pareil événement ne rapporte rien et apprécions d’abord sa valeur sportive, sociale et culturelle.
Pierre Rondeau
Économiste, spécialiste de l’économie du sport
Dans l’histoire récente, si on s’intéresse aux Jeux de Tokyo, Rio, Londres, Pékin, Athènes, Sydney ou Atlanta, la question de l’intérêt d’une telle compétition se pose. À chaque édition, on ne retient que la grandeur et la démesure, les milliards de dollars dépensés et injectés, les euphories et les folies collectives, etc. Mais, pour tout le reste, pas grande chose. Un événement comme les jeux Olympiques n’est en aucun cas un multiplicateur ; qu’il ait lieu ou pas ne change fondamentalement rien pour le pays hôte.
L’économie n’est pas « boostée » par la compétition, le tourisme ne se pérennise pas, les différents indicateurs de niveau de vie ou de bonheur ne sont pas dopés. Peu de chose est à observer et à noter, alors même qu’il s’agit de l’argument principal des organisateurs et des partisans olympiques ! Disons-le très simplement : non, une compétition sportive d’envergure internationale n’apporte aucune bonification économique. Et elle coûte souvent plus cher que ce qu’elle pourrait rapporter. Nous devrions le savoir, nous, Français, qui avons accueilli, depuis 2016, l’Euro masculin de football, la Coupe du monde féminine de football, la Coupe du monde masculine de rugby, les Championnats du monde masculins et féminins de handball, des compétitions de MMA, des matchs de NBA ou encore une finale de Ligue des champions. Pour quelles conséquences économiques ? La courbe du chômage s’est-elle inversée en 2016 ? Le plein-emploi a-t-il été atteint ? La croissance s’est-elle pérennisée à des niveaux soutenables ? L’indicateur du bonheur et de confiance des ménages a-t-il grimpé ? Non, rien de tout cela. Juste de rares moments de célébration et de liesse, juste un épiphénomène sportif nécessaire mais en aucun cas indispensable.
L’angle économique ne devrait donc plus être la pierre angulaire de l’analyse. Assumons que les Jeux ne rapportent rien, hormis aux sportifs et aux fans de sport, et admirons plutôt cette manifestation populaire dispendieuse et homérique. Apprécions les promesses de réhabilitation des infrastructures parisiennes, soulignons les investissements urbains consentis, soutenons les retombées en matière de pratique sportive. Pour tout le reste, ne soyons pas dupes. Non, les Jeux ne seront pas populaires, la billetterie l’a malheureusement démontré. Non, les Jeux ne seront pas sobres, un afflux touristique d’importance provoquera forcément des dégâts environnementaux. Non, les Jeux ne seront pas à l’équilibre, la Cour des comptes avait d’ailleurs noté, en juillet 2023, une mésestimation de son budget.
Il nous est nécessaire de changer de perspective. Apprécions d’abord cet événement pour sa valeur sociale et culturelle, plutôt que de le juger uniquement sur son impact économique. Il mérite beaucoup plus qu’une simple appréciation de croissance.
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